INSTANTS D'AUDIENCE
Les dessinateurs de presse sont une espèce en voie de disparition. Chassée par la photo et la vidéo, éradiquée par les contraintes de l'immédiateté. Pourtant, il est encore des espaces où le dessin d'actualité garde tout son sens. Comme l'information, d'ailleurs. Ces espaces sont ceux des salles des tribunaux, où le temps de la justice rendue est celui de la réflexion, pas celui de l'émotion. Le procès "Carlton", qui se tenait début 2015 à Lille, en est la parfaite illustration. Parfaite à plus d'un sens. D'abord en raison de la durée même du procès, trois longues semaines antinomiques des exigences d'une actualité courant comme un poulet sans tête d'un scoop présumé à l'autre. Parfaite, ensuite, du fait de l'absence dans la salle d'audience de caméras, appareils photos et micros, dont les propriétaires en étaient réduits à guetter les entrées et sorties des prévenus. Parfaite, enfin, en raison du choix du quotidien Le Monde de faire appel à François Boucq pour "croquer" DSK, Dodo la Saumure et consorts au fil des audiences de ce procès tant attendu.
Boucq n'est pourtant pas un familier de ce genre d'exercice. Son registre, c'est la BD, où il excelle depuis des années (voir ci-dessous la chronique de son dernier album, "Tulip"). Son trait si caractéristique pouvait laisser craindre de l'outrance dans ses croquis. Ils sont étonnants de sobriété, sans rien perdre de leur pouvoir d'expression. Dans sa préface, Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire du Monde, salue la capacité du dessinateur à saisir tensions et émotions, capturer une retenue ou un abandon, croquer une expression, restituer une atmosphère. Elle résume son talent d'une formule : " rien n'a échappé à l'œil cambrioleur de François Boucq". On ne saurait mieux dire.