DON QUICHOTTE N'EST PAS MORT

Don Quichotte est un héros moderne. C'est du moins le thème traité par Lax dans son nouvel album, Un certain Cervantès (éditions Futuropolis). Réincarné en vétéran de la guerre d'Afghanistan pour les besoins de la démonstration, Don Quichotte revit 200 pages durant dans une Amérique désenchantée, dont les inégalités profondes sont le pendant de son ultralibéralisme. Revenu amputé d'une main après avoir été captif des Talibans, Mike Cervantès oscille entre dépression et accès de violence. Incarcéré pour avoir détruit une agence bancaire à coup de barre à mine, il exhume un exemplaire de Don Quichotte de la Mancha de la bibliothèque de la prison. En plein choc post-traumatique, il s'identifie au "manchot de Lépante" (le Cervantes historique avait perdu un bras au combat contre les Ottomans),dont la vie présente plus d'un similitude avec le vétéran américain. Libéré, ce dernier s'adjoint un Sancho Pança de circonstance, en la personne d'un immigré clandestin mexicain, et c'est parti pour un road movie où le burlesque le dispute au tragique. Car la folie intermittente du personnage, sa poésie absurde et décalée, s'accompagnent  d'un engagement réel, un combat qui invite plus au respect qu'à la moquerie. 

Migrants illégaux, Indiens parqués et petits blancs escroqués par les banques sont magnifiquement mis en image. Lax utilise la couleur avec parcimonie, lui préférant la sobriété et les nuances multiples d'un gris sépia qui confine parfois à l'impressionisme. Ce talent graphique est au diapason d'un format plus proche du Comics que de la BD franco-belge classique, qui autorise une mise en scène alternant avec bonheur mouvements et pauses, réflexion et action, surface et profondeur. Du grand art.